Les Teleri devinrent maitre des mers et allèrent où bon leur semblait. Certains partirent construire la cité d'Aquallondë à Eldamar, d'autres restèrent sur Tol Eressëa et dans sa cité portuaire d'AvallonË.Leur tour blanche de Kortirion pouvait être aperçue, scintillant dans la mer Occidentale.
En haut du plus haut sommet de l'île, se trouvait Kortirion, parmi les arbres
Carl Frederic Aagaard
Notre conteur favori connaissait bien cet endroit, qui lui inspira un de ses plus jolis et inspirés poèmes, que je vous propose de (re)découvrir accompagné soit par la voix nostalgique de la noldo Galadriel, soit par le lai envoûtant de Nimrodel, tout en bas de cette page. Au choix.
Les Arbres de Kortirion
I
Alalminorë
Ô ville antique sur une colline assiégée !
Des vieilles ombres s'attardent en ta porte brisée,
Tes pierres sont grises , tes vieilles salles sont maintenant immobiles,
Tes tours silencieuses dans la brume attendent
Leur fin désagrégée , tandis qu'à travers les ormes étagés
L'Eau glissante quitte ces royaumes intérieurs ;
Et se glisse entre de longs prés jusqu'à la Mer,
Portant encore par étangs et chutes murmurantes
Une journée et puis une autre jusqu'à la Mer;
Et lentement là-bas bien des journées sont parties
Depuis que les Edan en premier bâtirent kortirion ici.
Kortirion ! sur ton île-colline
Aux rues tortueuses , et aux allées aux murailles ombreuses
Où encore maintenant les paons marchent en une parade imposante
Majestueuse , de saphir, et d'émeraude,
Une fois il y a très longtemps dans ce pays endormi
De pluie d'argent , où chargés d'années se dressent
Dans de la terre qui n'oublie pas les arbres enracinés
Qui jetèrent de longues ombres en le midi écoulé,
Et chuchotèrent dans la brise passant rapidement,
Une fois il y a très longtemps , Reine du Pays des Ormes,
Cité Centrale étais-tu des Royaumes Intérieurs.
De tes arbres en été tu te souviens encore :
Le saule à la source, le hêtre sur la colline,
Les peupliers pluvieux , et les ifs aux sourcils roncés
Dans tes cours si vieux qui songent
En sombre splendeur toute la journée,
Jusqu'à ce que la première étoile vienne miroitante,
Et que les souris voletantes passent sur des ailes silencieuses ;
Jusqu'à ce que la lune blanche escaladant lentement voie
En des champs d'ombre les arbres enchantés par le sommeil
Enrobés tout en gris argent.
Alalminorë ! Ici fut ta citadelle,
Avant que l'été en bannière de sa forteresse ne tombât ;
Autour de toi se dressa ton armée déployée d'ormes :
Verte fut leur armure , hauts et verts leurs heaumes,
Grands seigneurs et capitaines des arbres.
Mais l'été décline .Voici ,Kortirion !
Les ormes maintenant ont massé leurs pleine voiles
Apprêtées aux vents , comme des mâts au milieu de la vallée
De bateaux puissants qui devront trop tôt , trop tôt , naviguer
Vers d'autres jours au-delà de ces mers ensoleillées.
II
Narquelion
Alalminorë ! Coeur verdoyant de cette île
Où s'attardent encore les Compagnies Fidèles !
Encore , sans désespérer , ici ils vont lentement à la file
Descendant des chemins solitaires avec des harmonies solennelles:
Le Beau-Peuple , les premiers-nés en un jour ancien,
Elfes immortels qui , chantant sur leur chemin
De joie ancienne et de chagrins , bien que les hommes oublient,
Passent comme un vent parmi les arbres bruissant,
Une vague d'herbe qui se courbe , et les hommes oublient
Leurs voix appelant d'un temps que nous ne connaissons,
Leurs cheveux luisant comme la lumière du soleil il y a longtemps.
Un vent dans l'herbe ! Le tournant de l'année.
Un frisson dans les roseaux près du ruisseau,
Un murmure dans les arbres - au loin ils entendent,
Percant le coeur du rêve enchevêtré de l'été,
Une froide musique que joue un flûtiste héraut
Prévoyant l'hiver et les jours sans feuilles.
Les fleurs tardives tremblant sur les murailles ruinées
Déjà se penchent pour entendre cette flûte elfique,
A travers les allées ensoleillées de la forêt et ses salles par des arbres étayées
Serpentant parmi le vert avec une note claire et froide
Comme un maigre filament lointain de verre d' argent.
La marée haute descend , l'année bientôt sera puisée ;
Et tous tes arbres , Kortirion , lamentes-les.
Au matin la pierre à aiguiser sonna sur la lame,
Au soir l'herbe et les fleurs dorées furent déposées
Pour se faner , et les champs dénudés.
Et déjà ternie vient l'aube plus tardive,
Plus pâles les doigts de la lumière du soleil rampent de par le gazon
Les jours s'en vont. Parties comme des phalènes , les nuits
Lorsque des ailes blanches voletantes dansèrent comme des satellites
Autour de chandelles dans l'air sans vent.
Lammas est passé. La Lune de la Moisson a décru.
L'été meurt , qui si brièvement régna.
Maintenant les fiers ormes enfin commencent à perdre courage,
Leurs feuilles innombrables tremblent et commencent a pâlir,
Voyant au loin les lances glacées.
D'hiver marchant à la bataille contre le soleil.
Lorsque la lumineuse Toussaint faiblit , leur jour est achevé,
Et portées sur des ailes d'ambres blêmes elles volent
Dans des vents qui ne leur prêtent attention sous le ciel morne,
Et tombent comme des oiseaux mourants sur les étangs.
III
Hrivion
Hélas! Kortirion , Reine des Ormes , hélas !
Cette saison convient le mieux à ton antique ville
Avec des voix résonnantes tristes qui passent lentement,
Serpentant avec une musique décroissante doucement descendant
Les chemins de brume enfilés. Ô période déclinante,
Lorsque le matin se lève tard tout duveté de givre,
Et que les ombres tôt venues voilent les bois lointains!
Inaperçus les Elfes passent silencieusement, leurs cheveux luisants,
Ils les revêtent de crépuscule , sous des capuches secrètes
De gris , leurs capes bleu nuit ceinturées de bandes
De lumière d'étoiles givrée cousue par des mains d'argent.
La nuit ils dansent sous le ciel sans plafond,
Lorsque les ormes nus enlacent en une dentelle nuageuse
Les Sept Etoiles , et à travers les branches ,l’œil
Comtemple luisant-froid le visage de la lune haute.
Ô Peuple Ancien , doux peuple immortel !
Vous chantez maintenant des chants anciens qui s'éveillèrent auparavant
Sous des étoiles primordiales avant l'Aube ;
Vous dansez comme des ombres miroitantes dans le vent,
Comme auparavant vous dansâtes sur l'herbes brillante
D'Eldamar , avant que nous fussions , avant
Votre traversée de larges mers pour atteindre cette côte mortelle.
Maintenant voit-on tes arbres , vieille et grise Kortirion.
A travers des brumes blafardes , s'élevant hauts et pâles.
Comme des vaisseaux vagues qui lentement dérivent au loin
loin , loin vers des mers vides au-delà de la barre
De ports nuageux solitaires :
Ils laissent derrière pour toujours les havres bruyants
Où leurs équipages un temps tinrent des festins fiers
En glorieuse aisance , maintenant comme des spectres venteux
Ils sont soufflés sur des airs froids vers des côtes sans amis,
Et silencieux sur la marée sont portés.
Dénudé est son royaume devenu , Kortirion,
Dépouillé de son habit , de sa splendeur partie.
Comme des chandelles allumées dans un temple assombri
Les bougies funéraires du Chariot d'Argent
Maintenant flamboient par-dessus l'année tombée.
L'hiver est venu. Sous le ciel désertique
Les Elfes sont silencieux. Mais ils ne meurent pas !
Ici en attente ils endurent l'hiver mauvais
Et le silence .Ici je demeurai moi aussi ;
Kortirion , je rencontrerai l'hiver ici.
IV
Mettanyë
Je ne voudrais trouver les dômes brûlants et les sables
Où règne le soleil , ni ne m'aventurerais dans les neiges périlleuses,
Ni ne chercherais dans des montagnes sombres les terres cachées
D'hommes depuis longtemps perdus vers lesquelles aucun chemin ne va;
Je ne prête attention à aucun appel bruyant de cloche qui sonne
De sa langue de fer dans les tours des rois terrestres.
Ici sur les pierres et les arbres repose un sort.
De perte jamais oubliée , de mémoire plus bénie
Que la richesse mortelle . Ici invaincus demeurent
Le Peuple Immortel sous les ormes flétris,
Alalminorë auparavant dans des royaumes antiques.
J.R.R. Tolkien
Dictionnaire Tolkien, Géographie Imaginaire : La Terre du Milieu - [...] En réalité, le Légendaire est traversé, dès les plus anciens poèmes (comme "Kortirion parmi les arbres" en 1915), par une dynamique perpétuelle de la perte et de la restauration qui manifeste la possibilité de retrouver ce qui était perdu et de percevoir encore ce qui n'est plus perceptible. Dans Les Archives du Notion Club, roman inachevé rédigé en 1945-1946 en parallèle avec Le Seigneur des Anneaux, Tolkien développe une conception élaborée d'un passé dans lequel histoire et mythe se confondent et dont les traces pourraient resurgir dans le présent, à partir de rêves hantés de réminiscences visuelles et linguistiques, au point de l'affecter et d'y provoquer des phénomènes de grande ampleur, comme (pour prendre un exemple postérieur à la vie de l'auteur) la Grande Tempête frappant l'Angleterre de 1987 en écho à l'engloutissement de Numenor.
Une interview réalisée par Dennis Gueroult pour la BBC en 1965 montre que, quand la Faërie n'est pas une autre terre mais provient du passé, elle correspond avant tout à un monde possible, inventé :
"G.: Je pensais qu'on pouvait considérer que Midgard est la Terre du Milieu ou qu'il y a une sorte de connexion ?
T.: Oh oui, c'est le même mot. Beaucoup de gens ont fait cette erreur de croire que la Terre du Milieu est une sorte de Terre particulière ou une autre planète comme dans la science-fiction mais c'est juste un mot de forme ancienne pour ce monde dans lequel nous vivons, imaginé comme entouré par l'Océan.
G.: Il me semblait que la Terre du Milieu était en un sens comme vous dites ce monde dans lequel nous vivons mais à une époque différente.
T.: Non... à un autre stade imaginaire, oui."
La Terre du Milieu entretient une relation atypique au réel : un ailleurs qui est encore ici, un passé qui agit au présent, selon d'autres lois que l'histoire. Elle est bien, comme la Faërie que découvrent Niggle ou le forgeron de Grand Wootton dans d'autres récits de Tolkien, notre terre, mais dans la mesure où celle-ci est enchantée. La Faërie est, au fond, "le royaume ou l'état dans lequel les fées ont leur être. La Faërie recèle (...) les mers, le soleil, la lune, le ciel, ainsi que la terre et toutes choses qui s'y trouvent: arbres et oiseaux, eau et pierres, pain et vin, et nous-mêmes, mortels, lorsque nous sommes gagnés par l'enchantement." (MC, p.144). Si la Terre du Milieu est une "géographie imaginaire", du point de vue tolkienien, c'est parce qu'elle est le lieu où l'on peut encore percevoir une présence elfique, le lieu d'un enchantement marqué à la fois par la cohérence du monde subcréé et par la distance produite par un passé lointain. Un lieu imaginaire, sans doute, mais qui ne s'oppose pas au réel, dans la mesure où il en révèle un autre état.[...]