ORPHEE ET EURYDICE
(et le champ de fleurs)
Le champ de fleurs du Meikai est le lieu où le saint musicien Orphée est resté auprès de son amour Eurydice dont le corps a été figé dans la pierre.
Le champ de fleur est le seul petit coin de paradis au milieu des enfers, un peu comme le champ qu'Esmeralda montre à Ikki sur l'île de la mort ... Avant d'évoquer ce lieu, on va parler du couple
Petit rappel mythologique sur le couple Orphée et Eurydice
Orphée et Eurydice (par le peintre Anselm FEUERBACH )
Dans une région de Grèce appelée la Thrace vivait, il y a très longtemps, un fameux aède : Orphée. Il s'accompagnait avec une lyre et chantait si merveilleusement que personne ne pouvait résister à sa musique. Les oiseaux eux-mêmes l'écoutaient en silence et les animaux quittaient la forêt pour le suivre. Le loup trottait à côté de l'agneau, le renard suivait le lièvre, sans qu'aucun animal cherchât querelle à un autre. Même les serpents quittaient leurs trous et les pierres s'écartaient pour faire un chemin devant Orphée. Ses chansons arrêtaient le cours des rivières et les poissons sortaient de l'eau pour l'écouter. Les hommes riaient ou pleuraient, selon que son chant était gai ou triste. Ils oubliaient tous leurs soucis. Les dieux, attirés eux aussi par la voix d'Orphée, se rendaient en suivant la Voie Lactée aux endroits où il chantait.
Ainsi commence la célèbre légende d'orphée et Eurydice, sans doute l'une des plus belles histoires d'amour jamais contées, que vous pouvez retrouver en détail dans le livre d'Eduard Petiska "Mythes et légendes de la Grèce antique", aux éditions Gründ (les quelques lignes d'introduction ci-dessus en sont extraites !)
On raconte qu'Orphée était le plus grand musicien ayant jamais existé et que son talent faisait de l'ombre à Apollon lui-même (autre grand joueur de lyre et dieu de la musique c'est bien connu). Les versions diffèrent sur son origine, certains l'affirment être le fils de la muse Calliope. Il est possible aussi qu'il soit inspiré d'un personage ayant réellement existé. Il fut chanté par bien des poètes , notamment Pindare, Ovide et Virgile. Il prit part à l'expédition des argonautes en Colchide avec bien d'autres héros comme Jason, Argos, Héraklès, les dioscures Castor et Pollux, leurs cousins Idas et Lyncée et bien d'autres. Sa musique permit de triompher de nombreux périls, notamment du serpent gardien de la toison d'or. Lors du voyage de retour du navire Argo, il permit à ses compagnons d'échapper aux terribles sirènes en leur faisant entendre un chant encore plus beau !!
Il était si doué que même les naïades tombèrent sous l'emprise de sa musique et Eurydice, une très belle jeune fille, était l'une d'elle. Tous deux tombèrent amoureux et Orphée l'épousa. Ils vécurent alors des jours heureux.
ci-dessous : une image du manga Saint Seiya faisant référence à ce couple célèbre
Mais un jour, alors qu'Orphée s'était absenté, Eurydice voulut marcher vers les prairies ou elle avait grandit en compagnie des autres naïades qui lui manquaient et elle fut piquée par un serpent. Elle mourut .. Selon une autre version , celle du poète Virgile, elle se serait fait piquer en courant pour échapper aux avances d'Aristée, un fils d'Apollon, qui la harcelait. La douleur d'orphée fut si profonde qu'il ne chanta plus que des chants tristes qui émurent même les arbres et les animaux.
Depuis ce jour il ne put plus se résoudre à vivre sans son Eurydice et se décida un jour à tenter de la ramener des enfers. Il se dirigea vers l'ouest , vers Ténare en Laconie, où était censée se trouver l'entrée du royaume des morts, les arbres et les animaux lui montrèrent le chemin, émus par son chant et sa musique. Arrivé sur place il parvint même à émouvoir le chien tricéphale Cerbère, qui ne l'attaqua pas, et le nocher Charon, le passeur du Styx, qui l'autorisa à passer le fleuve des morts en compagnie des ombres s'apprêtant à être jugées.. Orphée traversa ainsi les différentes zones des enfers, parvenant à apaiser l'espace d'un temps grâce à son chant les nombreux suppliciés condamnés à des sorts affreux pour les crimes commis de leurs vivants, comme Tentale ou Sisyphe.
Arrivé devant le sombre Hadès et sa femme Perséphone, habillée de noir, il manqua de céder à la peur mais son amour fut plus fort que tout et il chanta le sort tragique d'Eurydice et l'amour qu'il avait pour elle, suppliant le dieu de la laisser revenir parmi les vivants. Perséphone fut émue par sa peine profonde et conseilla à Hadès de laisser Eurydice partir. hadès accepta à une condition, qu'Orphée ne se retourne pas le long du chemin. S'il venait à le faire il perdrait Eurydice définitivement. L'ombre d'Eurydice apparut alors et tous deux se dirigèrent vers la sortie des enfers et la surface.
Les versions diffèrent un peu sur la manière et les raisons pour lesquelles Orphée se retourna , toujours est-il qu'il le fit maleureusement. Il résista longtemps à la tentation , Eurydice le suivant à distance et se lamentant de son indifférence forcée qu'elle ne comprenait pas. C'est alors qu'il se retourna pour lui témoigner sa tendresse et la perdit pour toujours. Eurydice disparut et retourna aux enfers pour l'éternité. Dans Saint Seiya son sort est un peu différent mais tout aussi tragique : elle est alors figée dans le sol , le bas de son corps étant transformé en pierre.
Ci-dessus : Eurydice figée en statue, dessinée par le fanartiste Rachius
Orphée revint donc parmi les vivants tout seul... Sa peine fut si immense et ses chants si tristes que les arbres et la nature pleurèrent des torrents de larmes, le cours des rivières augmentant ..
On raconte qu'il mourut plus tard de la main des Ménades, les servantes ivres du dieu Dionysos du vin, car il aurait offensé le dieu en ne l'adorant plus. Selon une autre version il aurait mis en colère les ménades à cause de ses lamentations perpétuelles. Il fut massacré, mis en pièce, et sa tête jetée dans le fleuve Hébros. Elle suivit son cours et il est dit qu'elle chantait une chanson dont les eaux reprirent l'hymne en échos , c'est ainsi que depuis ce jour les rivières continuent à chanter pour garder le souvenir d'orphée. Sa tête traversa ensuite la mer, ainsi que sa lyre, et arriva à l'île de Lesbos, où elle fut enterrée dans le sanctuaire d'Apollon. On raconte que depuis ce jour des rossignols y chantent continuellement, et que l'île a vu naitre de grands aèdes, ainsi que la prêtresse Sapho. Le corps d'Orphée fut enterré respectueusement par les muses au pied de l'Olympe. Les hommes et la nature pleurèrent Orphée et tous furent en dueil. Orphée put ainsi retrouver son Eurydice aux enfers et rester avec elle pour toujours.
Le mythe d'Orphée et Eurydice, très émouvant, est l'un des plus connus aujourd'hui, et il inspire encore beaucoup les peintres, les poètes et les écrivains. Parmis les mythes des autres civilisations on peut penser que le mythe hindou de Savitri et Satyavan en soit l'échos.
Le champ de fleurs
Le champ de fleurs fait partie dans Saint Seiya de la deuxième prison (celle du temple de Pharao qui contient aussi en amont la vallée du vent noir) et est situé au aval du temple, avant de continuer la route vers les autres prisons. Dans notre manga , Kurumada fait d'Orphée un saint d'argent ayant existé il y a fort longtemps et qui vit depuis son histoire d'amour tragique aux enfers pour rester auprès de son Eurydice figée dans la pierre. Il est associé à la constellation de la lyre, et son armure d'argent a d'ailleurs elle-même la forme de cet instrument (ci-dessous).
Son histoire d'amour et ses talents de musiciens sont copiés sur l'Orphée de la mythologie grecque. Lorsqu'il tente de ramener son Eurydice des enfers, de même Hadès le laisse partir à la condition de ne pas se retourner. C'est là que Kurumada nous modifie le scénario à sa manière: Hadès aime en effet beaucoup la musique d'Orphée et souhaite le retenir, d'où le stratagème de Pandore, qui confie son miroir au spectre gardien de la 2ème prison : Pharao, afin de tromper Orphée. C'est la lumière reflétée par le miroir de Pandore qui induit en erreur le barde et provoque la tragédie. Si on considère que la Pandore de Saint Seiya est un peu un mix de la Pandore mythologique et de Perséphone (ça semble assez clair), on peut s'étonner un peu de cette différence par rapport au mythe initial, vu que Perséphone dans l'histoire originelle contribue surtout à attendrir Hadès pour qu'il cède au souhait du musicien prodige et le laisse partir. Ici c'est un peu l'inverse...
Eurydice est ainsi transformée en pierre, comme dans certaines versions mythologiques, et Orphée n'apprendra que bien plus tard les raisons du drame, lors du passage des chevaliers d'Athéna dans son champ de fleurs. Ce qui donne lieu à une belle histoire de vengeance assouvie lors du combat Pharao / Orphée.
Le lieu où Eurydice est figée se situe non loin de la deuxième prison des enfers (celle gardée par Pharao) et est une sorte d'immense champ de fleur, sorte de hâvre de paix rarissime perdu au milieu des enfers (le Meikai), comme si c'était un petit bout d'Elysion. Lorsqu'ils furent pris au piège par Pharao Orphée et Eurydice tentaient de se diriger vers la sortie des enfers, en empruntant des chemins mornes et désolés comme dans tout le reste du Meikai, il n'y avait pas de fleurs à ce moment là.
Les fleurs sont arrivées à priori par une espèce d'enchantement, du fait de la présence de la douce et tendre Eurydice et de la musique d'Orphée, j'aime d'ailleurs beaucoup cette image de la musique et de l'amour capables de repousser les ténèbres et le Mal par leur seule présence et existence ... Image surtout inspirée d'Orphée dans la mythologie, musicien dont il était dit que quand il jouait même les animaux s'amassaient pour écouter et qui générait la grâce autour de lui ! Ces deux amants me rappellent un peu certains couples de Tolkien (notamment Beren et Luthien , princesse elfe du Premier age qui abandonna l'immortalité pour épouser un mortel et dont les chansons racontent comment elle faisait pousser des fleurs et apportait la grâce et la beauté naturelle partout ou elle passait dans la forêt de Neldoreth .. D'ailleurs avant d'aimer Beren, Luthien aimait aussi un très grand musicien elfe de Doriath ! Difficile de ne pas émettre quelques rapprochements avec cette très belle histoire d'amour impossible et tragique entre l'homme Beren et l'elfe Luthien (histoire et conte qu'on peut découvrir notamment dans Le silmarillion). Ici c'est plutôt Luthien qui joue le rôle de la musicienne par son chant qui était tellement émouvant qu'elle parvenait à émouvoir les esprits de la nature, animaux etc (son surnom est d'ailleurs Lúthien Tinúviel, le rossignol). Comme pour le mythe d'Orphée et Eurydice, de manière inversée cette fois, Luthien ne chanta plus que des chants tristes à compter du jour où son père lui refusa l'amour de Beren et envoya ce dernier accomplir une mission impossible emplie de périls. Le romancier anglais s'est sans doute un peu inspiré du mythe greco-romain.
Dans Saint Seiya Orphée se sacrifiera, et sacrifiera du même coup la possibilité de vivre pour toujours auprès de sa bien-aimée, afin d'aider les saints d'Athéna dans leur quête. Il fait passer le bien commun (celui de l'Humanité incarné par Athéna) AVANT MEME son amour pour Eurydice, c'est encore une fois un geste très fort et tellement marquant. Quelle plus belle réponse Seiya aurait il pu apporter à ce sacrifice tragique que la phrase qu'il prononce au Gyudeca, Orphée venant de mourir dans ses bras :
"Orphée maintenant tu vas devenir une étoile qui ne jouera plus que des chansons d'amour ... Et en tendant l'oreille vers la constellation de la lyre nous entendrons ta musique"
J'enchaine avec une photo de la vraie constellation de la lyre, où l'on peut voir la grosse étoile Véga au nord, l'une des plus brillantes du ciel, et gamma Lyr au sud (source : astrosurf.com )
Un autre lien avec la divine comédie ?
Dans la divine comédie de Dante, il n'y a pas de champ de fleurs, mais le troisième cercle des enfers condamne les pêcheurs de l'amour et les luxurieux, et parmi les exemples de couples que le poète italien place à cet endroit on trouve comme je l'ai détaillé au début du topic, les amants du 13ème siècle Paulo Malatesta et Francesca, princesse de Rimini, qui s'aimèrent à la folie malgré les interdits et qui furent tous deux poignardés par le prince de Gradara, Gianciotto, le mari de la belle (un poil jaloux !!) , alors qu'ils échangeaient un premier baiser ... Réunis dans la vie, ils furent réunis dans la mort à l'intérieur de ce cercle des enfers, un peu comme Orphée et Eurydice. Peut être y a t'il un clin d'oeil de la part de Masami Kurumada. Autrement il n'est fait nulle mention d'Orphée et Eurydice dans la divine comédie (A noter que dans la mythologie grecque d'ailleurs, lorsqu'Orphée se retourne, Eurydice ne se transforme pas en pierre , mais s'évanouit et disparaît, du moins dans les versions dont j'ai eu connaissance).
LA TROISIEME PRISON
Ici, les pécheurs avares ou vénaux font rouler des rochers pour l'éternité
En continuant la "route" des enfers après le champ de fleurs, on tombe dans la troisième prison, gardée par deux spectres : Rock du Golem et Yvan du Troll. Ici les morts sont condamnés à rouler éternellement de gros rochers jusqu'au sommets d'une montagne, exactement comme Sisyphe dans la mythologie.
Le peintre Gustave Doré a représenté cette scène (et beaucoup d'autres de la divine comédie)
Comme dit précédemment, le supplice des morts de cette prison rappelle celui du célèbre Sisyphe dans la mythologie grecque. Petit rappel sur cet autre mythe ultra célèbre :
Sisyphe était considéré comme le plus rusé et le plus fourbe des mortels qui parvint à vaincre la mort elle-même; Ce roi de Corinthe était aussi célébre que Tantale aux Enfers. Tout comme celui-ci, on ne connait pas la nature exacte de son crime. Pour certain, il était un roi sanguinaire qui dévasta l'Attique, pour d'autres, il instruisit les hommes d'un mystère divin.
Selon la version la plus répandue, un jour, alors que Zeus avait transporté la nymphe Egine dans une Ile pour la séduire, Sisyphe dénonça le roi des dieux au père de la nymphe : le dieu fleuve Asôpo. Aussi, Zeus irrité appela Thanatos (dieu de la mort) pour l'enchaîner. Mais Sisyphe par une feinte parvint à retourner la situation et à enchainer Thanatos, et plus personne ne mourut plus sur Terre, jusqu'à ce que Zeus fit descendre Arès sur Terre pour délivrer la Mort.
Plus tard, Sisyphe ordonna à son épouse Méropé (l'une des pléiades) de ne pas rendre à son corps les honneurs funèbres, aussi, quand Thanatos vint le prendre pour la seconde fois, il se laissa faire avec une apparente résignation, et Thanatos alla se plaindre à Hadès de l'impiété de Méropé. Par esprit de justice et par piété, Hadès permit à Sisyphe de retourner sur Terre parmi les vivants pour se venger de son épouse, mais en réalité, n'ayant aucune envie de retourner en enfer, Sisyphe, fort heureux de retrouver Méropé, vécu jusqu'à un âge avancé. Mais lorsqu'il mourut à nouveau, le châtiment de Zeus l'attendait aux enfers : il fut condamné à rouler éternellement un énorme rocher jusqu'au sommet d'une montagne, d'où son poids le faisait redescendre sans cesse, obligeant le malheureux à recommencer sa tâche indéfiniment...
Ce mythe illustre le thème de l'absurde, thème de prédilection de l'écrivain Albert Camus , qui en a d'ailleurs même fait un roman (le mythe de Sisyphe).
Rock du Golem de l'étoile céleste de la cible
L'un des spectres gardiens de cette prison est Rock du Golem (ci-dessus) voir aussi son topic dédié dans la rubrique encyclopédique
Rock est associé à une créature célèbre de l'héroic-fantasy et des jeux de rôle : le Golem. Monstre de pierre qui tient ses origines du folklore juif , dans le ghetto de Prague :
Le rabbin Judah Loew de Prague, également connu sous le nom de Maharal, l’a créé avec de l’argile et lui a donné la vie en plaçant sous sa langue une feuille de papier où était inscrit le nom secret de Dieu et en écrivant le mot EMETH sur son front, ce qui signifie vérité en hébreux.
Le Golem a aidé les Juifs à se défendre contre les émeutiers antisémites, mais un jour il s’est retourné contre son créateur. Il a semé la ruine et la destruction jusqu’à ce que, au dernier moment, le rabbin , pour le tuer, ait l'idée d' enlever la première lettre (meth signifie mort). Le Golem est alors redevenu un tas d’argile sans vie. voir aussi ce topic
Le golem symbolise à la fois la peur des hommes face à leur propre créations , qui peuvent toujours se retourner contre eux. La légende a sans doute inspiré le frankenstein de marie Shelley, mais il symbolise aussi le modèle positif d'une créature aux pouvoirs exceptionnels et dont la vocation est la protection de l'humanité. C'est ainsi que le personnage de Superman, créé dans les années 30 en pleine montée des périls, par Jerry Siegel et Joe Shuster, deux auteurs juifs, peut être rattaché au mythe du Golem. (pour ma part le personnage de Ben alias la chose, des 4 fantastiques , m'a toujours fait un peu penser aussi à un Golem !)
Le golem a souvent inspiré le folklore yiddish, et également le cinéma allemand du début du siècle. Le film La forteresse noire de Michael Mann est aussi un gros clin d'oeil à cette légende.
Dans le mythe de Sisyphe, comme dans le mythe du Golem, on a un peu la même symbolique, celle de la montée et de la redescente. Un mortel cherche à imiter le divin (atteindre l'immortalité / créer des créatures vivantes) mais ces mythes sont là pour nous montrer les limites de ces approches (même quand on pense faire le Bien) , je trouve donc assez logique que Kurumada ait placé Rock du Golem dans cette prison associée au mythe de Sisyphe ...
Dans la divine comédie
Chez Dante on retrouve un enfer similaire à la 3ème prison dans Saint Seiya , il s'agit du 4ème cercle des enfers (toujours cette histoire de décalage d'une unité entre les cercles de la divine comédie et les prisons de saint seiya ..) Ce sont également les avares et prodigues qui s'y retrouvent après la mort ; La peine est identique pour ces deux groupes de personnes qui roulent continuellement des poids et s’injurient de troupes à troupes.
Ces poids représentent les richesses mal amassées ou mal dépensées (en bref une façon de condamner une existence vécue de manière absurde , ce qui est un péché) : Ci-dessous : Petit extrait de la divine comédie
Là je vis des gens plus qu'ailleurs nombreux,
Et d'une part et de l'autre à grands hurlements,
roulant des poids avec leur poitrine.
Ils se heurtaient à la rencontre, et là, ensuite,
chacun se retournait, tenant son fardeau
et criant : "Pourquoi tiens-tu?" et "Pourquoi jèttes-tu?"
Ainsi tournaient-ils par le sombre cercle
de chaque côté jusqu'au point opposé
criant toujours la parole de honte.
Puis revenait chacun , lorsqu'était arrivé
au demi cercle, à l'autre joute.
Et moi, qui avait le coeur contristé
Je dis : "Ô Maître mien, ores m'explique
quelle gent est celle-ci et si tous furent clercs
ces tonsurés, à notre gauche."
Et lui à moi : "Tous et toutes furent borgnes
d'esprit en leur vie première
et ne firent dépense avec mesure.
Assez clairement leur voix l'aboie
lorsqu'ils arrivent aux deux points du cercle
où faute contraire les sépare.
Ceux-ci furent clercs qui n'ont couvercle
de poil sur la tête, et papes et cardinaux,
chez qui avarice se surpasse"
Et moi: "Maître, parmi de tels damnés
j'en devrais bien connaître quelques-uns
qui furent souillés de ces maux."
Et lui à moi: "C'est là une vaine pensée,
la méconnaissante vie qui les fit immondes,
à toute connaissance les rend obscurs.
Eternellement ils viendront aux deux heurts;
ceux-ci surgirent du sépulcre
le poing fermé et ceux-ci le poil ras.
Mal donner et mal tenir les a privés
du monde de beauté, les a placés à cette bagarre:
sur ce qu'elle est je n'ajouterai parole.
Ores peux-tu voir, fils, la brève bouffonnerie
des biens qui sont commis à la Fortune,
pour quoi la gent humaine se prend aux cheveux,
car tout l'or qui est sous la lune
et qui fut , ne pourrait en rien
procurer pause à l'une de ces âmes."
"Maître", dis-je à lui, "dis-moi encore:
cette Fortune que tu viens de nommer, qu'est-elle
qui tient entre ses griffes les biens de la terre ?"
Et lui à moi : "O sottes créatures !
que d'ignorance, - et quelle ! - offense vos esprits !
Ores je veux que tu ingurgites ma sentance.
Celui dont la sagesse transcende tout
fit les cieux et leur donna qui les conduit
et chaque partie resplendit pour chaque partie
en distribuant une égale lumière;
semblablement, aux richesses humaines,
il préposa une intelligence guide
qui fît passer, en leur temps, les vains biens
de peuple à peuple et d'une famille à l'autre,
au-delà des calculs des esprits humains;
pour ce un peuple domine et l'autre languit
selon décision de Fortune
qui est cachée comme serpent dans l'herbe.
Votre savoir ne peut s'y opposer,
elle prévoit, juge et poursuit
son règne , comme le leur les autres dieux.
Les permutations n'ont de trêve :
nécéssité la fait être rapide;
nombreux sont ainsi ceux qui changent d'état.
Elle est celle que tant l'on cloue au pilori,
même par ceux qui d'elle auraient à se louer,
lui donnant blâme à tort, et malédiction;
mais elle est bienheureuse et n'entend tout celà;
joyeuse avec les autres premières créatures,
elle tourne sa roue et jouit de sa félicité.
(Dante, la divine comédie, Enfers, Chant VII )
(je vous laisse méditer ça !! )