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La Liste de Schindler (de Steven Spielberg)

Débats sur des films en particuliers (n'hésitez pas à utiliser l'index - sur ce lien pour vous y retrouver).
Somewhere
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La Liste de Schindler (de Steven Spielberg)

Messagepar Somewhere » mar. mars 11, 2014 1:28 pm

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Dans la catégorie des plus grands films de cinéma, se détache aux côtés des Pulp Fiction, trilogie du Dollar et autres Parrain, une œuvre plutôt à part dans le sens où le thème de la Shoah qu’elle aborde dépasse largement la notion même de cinéma. Le fait qu’il s’agisse déjà d’un film de Steven Spielberg le met de toute façon à part. Sans doute le réalisateur le plus populaire et le plus connu toutes générations confondues : Les Dents de la Mer, E.T., Indiana Jones, Jurassic Park, Le Soldat Ryan, pour ne citer que les plus célèbres, voici toutes les créations de ce génie emblématique du grand écran. La plupart de ses films sont des divertissements. De grands divertissements. Le voir s’attaquer à la Shoah pouvait donc étonner. La Shoah, ou holocauste, ou génocide juif, reste encore aujourd’hui pour beaucoup l’événement le plus grave et le plus terrifiant qu’ai pu connaitre l’homme au cours de sa vie. En partie car il en est d’abord le premier responsable, en la personne d’un homme, dirigeant du Troisième Reich de 1933 à 1945. Aborder un tel sujet relève d’abord du courage et, ceci étant la motivation première de Spielberg à faire ce film, un devoir de mémoire. Un devoir de mémoire envers les six millions de juifs exterminés durant la Seconde Guerre Mondiale parce qu’ils étaient… juifs.

Tout de suite, La Liste de Schindler.

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La Liste de Schindler est un film américain sorti le 15 décembre 1993 aux Etats-Unis et le 2 mars 1994 en France. Il est inspiré du roman éponyme La Liste de Schindler de Thomas Keneally sur Oskar Schindler. Oskar Schindler est un industriel allemand, membre du parti nazi. Lors de la Seconde Guerre Mondiale, il installe sa nouvelle usine à Cracovie afin d’employer une main d'œuvre juive gratuite. Mais peu à peu, en se rapprochant notamment du commandant SS Amon Göth, il découvre la réalité de la « Solution Finale » nazie et tente dès lors, avec son comptable Itzhak Stern, de sauver le plus de vies possibles, en leur « offrant » un travail dans son usine, au risque de trahir son propre camp.

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Réalisé par Steven Spielberg, le réalisateur découvrait pour la première fois l’histoire d’Oskar Schindler lorsqu’on lui envoya une critique du livre de Thomas Keneally, La Liste de Schindler, sorti en 1982. L’écrivain australien, essentiellement connu pour cette œuvre, avait écrit cette histoire suite à sa rencontre avec Poldek Pfefferberg, un des juifs sauvés par Oskar Schindler, qui s’était juré de raconter un jour la vie de son sauveur. Spielberg, de par ses origines juives, s’intéressa très rapidement à cette histoire, assez pour qu’un grand studio hollywoodien, Universal Pictures, achète les droits d’adaptation du roman. Spielberg rencontre personnellement Poldek Pfefferberg en 1983. Mais ne se sentant pas d'envergure pour réaliser un film sur l'Holocauste, il tenta de confier la réalisation au polonais Roman Polanski, qui refusa lui aussi, trouvant l'histoire trop proche de la sienne, qu’il vécu durant son enfance dans un ghetto de Cracovie. Puis Spielberg proposa le projet au réalisateur américain Martin Scorsese, mais ce dernier refusa également, car il pensait que seul un réalisateur juif serait capable de réaliser un film d’une telle envergure. Ceci, ajouté à la montée du néonazisme après la chute du mur de Berlin, au génocide bosnien et au négationnisme naissant envers l’Holocauste, motiva finalement Spielberg à réaliser le film, qui en fit finalement un projet très personnel. Mais la société de production du film, craignant un pari très risqué de la part du réalisateur, demanda à Steven Spielberg qu’il réalise d’abord un film sur des dinosaures revenu génétiquement à la vie dans notre monde moderne, avant de s’atteler à la biographie d’Oskar Schindler. C’est ainsi que, durant la longue postproduction de son film de dinosaures, Spielberg réalisa La Liste de Schindler de mars à mai 1993 dans un quartier de Cracovie, laissant le soin à son ami George Lucas de s’occuper des effets spéciaux de ce qui allait donner Jurassik Park. Jurassik Park sorti en salles en juin 1993 et deviendra le plus gros succès de tous les temps au box-office, battant l’imbattable Star Wars de… George Lucas.

Renforcé par le succès de ce film, Universal sortira La Liste de Schindler quelques mois plus tard.

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Réalisé pour un budget de 22 millions de dollars, La Liste de Schindler rencontre un très grand succès en salle, avec 321 millions de dollars de recettes, dont une centaine aux Etats-Unis. Le film obtient un succès critique quasi-unanime, reconnaissant pour la première fois à Steven Spielberg une vraie prouesse cinématographique et dramatique, le public étant habitué jusqu’ici à de « simples » divertissements de sa part. Pour l’anecdote, il contraint le réalisateur américain Stanley Kubrick à abandonner un projet similaire, ce dernier estimant qu'il était inutile « d'enfoncer des portes ouvertes ». Le succès critique se confirme avec pas moins de douze nominations aux Oscars, dont sept obtenus (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario adapté, meilleure musique de film, meilleure direction artistique, meilleur montage et meilleur photographie). A juste titre, Steven Spielberg pour l’Oscar du meilleur réalisateur, son premier, et John Williams, pour l’Oscar de la meilleure musique, son cinquième (!), se voient une nouvelle fois récompensé pour leur immense contribution apportée au cinéma depuis le début des années 70.

En réalisant La Liste de Schindler, Spielberg réalisa tout simplement son meilleur film, le plus beau, le plus triste, le plus personnel. En refusant tout salaire sur ce film, ce qui aurait représenté « l’argent du sang», le réalisateur fit sans doute ce qu’il y avait de mieux à faire. Utiliser un fait aussi grave pour se faire de l’argent serait bien plus immoral que professionnel. L’autre grande idée de Spielberg fut de tourner ce film en noir et blanc, les seules images réelles que nous ayons en effet de cette partie de l’histoire étant de ces couleurs-là. Enfin, en choisissant de faire apparaitre à la fin de son film les vrais survivants du vrai Schindler aux côtés des acteurs qui les ont interprétés durant le film permettent de nous montrer que La Liste de Schindler est bien d’avantage qu’un simple film de cinéma. Sans revenir sur la qualité purement artistique du film qui est de toute façon reconnu par tous le monde et le jeu des trois acteurs britanniques Liam Neeson pour Oskar Schindler, Ben Kingsley pour Itzhak Stern et Ralph Fiennes pour Amon Göth, qui nous livrent ici des prestations poignantes, la thématique du film et son héritage se doivent d’être mis en avant. Suite au succès remporté par le film, Steven Spielberg créa, avec l’argent récolté par ce succès, la Fondation de l'Histoire Visuelle des Survivants de la Shoah, une organisation à but non lucratif qui a pour fonction de rassembler des archives de témoignages filmés des survivants de l'Holocauste, et de préserver leur histoire pour assurer la pérennité de la mémoire collective. Le génocide des juifs par les nazis, (ainsi que, l’on en parle moins, mais les tsiganes, les handicapés, les dissidents politiques au nazisme, les communistes, les pacifistes, les homosexuels, les Témoins de Jéhovah, les Russes, les Polonais, les Serbes et d'autres peuples slaves ont également été la cible du Führer, qui cumulés aux juifs, faisait état de douze millions d’hommes, de femmes et d’enfants exterminés, un chiffre qui, par rapport à la population actuelle française, représenterait près de 18 % des français, un chiffre effarant qui montre que bien plus absurde que les guerres, le massacre d’une population, et le massacre tout court d’ailleurs, est une chose ne devant bien sûr plus se reproduire), de par son ampleur et son horreur, fut un crime épouvantable, et l’homme se devait de retenir la leçon. Mais le génocide des Tutsis au Rwanda du 6 avril au 4 juillet 1994, le massacre de Srebrenica en Bosnie-Herzégovine en juillet 1995, le génocide au Bangladesh en 1971, le génocide cambodgien de 1975 à 1979, le génocide tibétain, les massacres au Darfour, au Congo, le massacre des Kurdes en 1989 par Saddam Hussein ont malheureusement suivi l’Holocauste. Preuve que, qualifier un homme d’animal et le traiter comme tel, si encore l’on trouve normal de traiter un animal comme l’on traitait un juif dans un camp d’extermination, voilà bien la pensée continuant de traverser l’esprit de certaines personnes au pouvoir bien trop grand.

Aujourd’hui encore, en ce début d’année 2012, des gens meurent car ils ont eu le malheur d’être différents, des peuples continuent encore à nier des massacres qu’ils ont eux-mêmes commit, des « personnes » affirment que la Shoah n’est qu’un détail de l’histoire, voir même n’existe pas, d’autres revendiquent un retour du nazisme. Pour tout cela, ne pas faire oublier ce qui s’est passé durant ces années 40 reste de notre devoir. Ne pas faire oublier qu’entre 1944 et 1945, un homme, un seul, sauva 1 100 juifs du funeste destin qui les attendaient. Un acte héroïque, que plusieurs autres personnes ont eu le courage d’effectuer, cachant et protégeant des juifs au prix de leur vie durant cette triste guerre. Pour toutes ces personnes, l’avenir vaut la peine d’être espéré meilleur.

Et comme le dit un noble peuple :

« L’homme fut d’abord créé individu unique, pour qu’on sût que quiconque supprime une seule existence, l’Ecriture la lui impute exactement comme s’il avait détruit le monde entier, et quiconque sauve une seule existence, l’Ecriture lui en tient le même compte que s’il avait sauvé le monde entier. »

Talmud, Michna, Sanhédrin 4:5 וכל המקיים נפש אחת מישראל מעלה עליו הכתוב כאילו קיים עולם מלא).

Oskar Schindler repose désormais en paix au cimetière chrétien du Mont Sion à Jérusalem depuis le 9 octobre 1974.

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Re: La Liste de Schindler

Messagepar Somewhere » mar. mars 11, 2014 1:36 pm

Il y a 20 ans, "La Liste de Schindler"...

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Précédé d'un accueil critique et public extrêmement flatteur du côté des Etats-Unis, d'autant qu'il est un des favoris dans la course aux Oscars qui doivent être décernés fin mars 1994, "La Liste de Schindler" sort sur les écrans français au début du même mois. Et se retrouve au cœur d'une vive polémique largement alimentée dans la presse. Pourquoi ? Éléments de réponse ci-dessous.

"Emotionnellement, je ne suis pas prêt à faire ce film”

1982. Steven Spielberg triomphe au Box Office avec E.T. Cette année là, il découvre un ouvrage d'un auteur australien, Thomas Keneally : La Liste de Schindler, traduit en France en 1984. L'histoire d'Oskar Schindler, industriel nazi convaincu, qui sauvera finalement de la déportation quelques 1300 juifs en engloutissant sa fortune. Une histoire qui le bouleverse et qu'il souhaite adapter au cinéma; mais "ne se sentant pas prêt émotionnellement" -comme il le dira lui-même-, il cherche à confier le projet à quelqu'un d'autre. D'abord Roman Polanski, qui refuse : cette histoire est trop proche de la sienne, lui qui a réchappé enfant du terrible ghetto de Cracovie, tandis que sa famille fut exterminée à Auschwitz. Spielberg sollicite alors Martin Scorsese, intéressé dans un premier temps, avant de décliner l'offre : "ce film doit être réalisé par une personne de confession juive" lui dit-il. Il songe aussi à confier la réalisation à Billy Wilder, qui réaliserait là son dernier film; mais se ravise. Finalement, c'est lui et lui seul qui mettra en scène l'histoire.

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Les Executives du studio Universal, eux, sont loin d'être motivés; sinon inquiets. Un film en noir et blanc de plus de 3h sur un tel sujet ? Allons donc. "C'est de l'argent jeté par les fenêtres !" dira même l'un d'eux; et d'ajouter : "vous ne préfereriez pas faire une donation ou quelque chose du genre ?" Spielberg n'en démord pas. Il obtient finalement le feu vert de la Major, à une condition : qu'il tourne d'abord Jurassic Park; ca permettra de limiter la casse, au cas où...L'enveloppe du film n'excède pas les 25 millions de dollars, tandis que Spielberg renonce même à tout salaire sur ce film; pas question de faire une oeuvre avec "l'argent du sang" comme il le dira lui-même.

Un film sur l’Holocauste par le réalisateur de "E.T." ? Impossible.

Quand Spielberg annonce officiellement qu’il va réaliser un film sur l’Holocauste, un grand nombre de gens réagissent avec indignation. Tel le Congrès Juif Mondial, qui lui interdit carrément de tourner à Auschwitz. C’est qu’au début des années 90, l’image de Spielberg est alors trop marquée par les Blockbusters qu’il enchaîne depuis plusieurs années. Un film sur l’Holocauste par le réalisateur d’E.T. et d’Indiana Jones ? Impossible de le prendre au sérieux.

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"S’il est impossible de raconter l’Holocauste, c’eût été un péché de ne pas essayer" dit Spielberg au moment de la sortie du film sur les écrans américains en décembre 1993. "23% des lycéens américains n’ont jamais entendu parler de l’Holocauste" ajoute-t-il. Contre toute attente, compte-tenu du sujet du film, et sa durée (3h15 quand même), La Liste de Schindler fait l'objet d'un vrai consensus aux Etats-Unis. Il reçoit même un soutien politique de poids en la personne du président des Etats-Unis, Bill Clinton, qui souhaite que le film soit diffusé dans les écoles américaines. Le film fait aussi figure de grand favori dans la course aux Oscars dont la cérémonie doit se tenir fin mars 1994, avec pas moins de 12 nominations.



"Démolissez, reconstruisez, comme elle l'a dit !" - Amon Goeth s'en prend à la chef de chantier, juive, dans le camp de Plaszow qu'il administre...

Un accueil critique contrasté en France…

En France, la liste de Schindler sort au tout début du mois de mars 1994. Le contexte politique et culturel est crucial pour bien comprendre les choses. A cette époque, la France est alors en pleine négociations marathon d'un Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce avec les Etats-Unis, autrement baptisé GATT. Des négociations très tendues. L'industrie culturelle française craint alors le monstre hollywoodien, machine dominatrice et broyeuse de "l'exception culturelle" revendiquée et défendue bec et ongle par la France. S'ajoute aussi à cela une surcouche géopolitique qui, bien que ce ne soit absolument pas le sujet même du film de Spielberg, plannera comme une ombre sur les débats autour de la Liste de Schindler : la guerre civile en Ex-Yougoslavie, à feu et à sang, alors même que l'on voit ressurgir avec horreur les nettoyages ethniques contre les populations civiles. Dans un premier temps, dès sa sortie, la Presse française salue le film de Spielberg comme un événement. "Ne jamais oublier Auschwitz. Evénement : le nouveau film de Spielberg" titre en couverture l'hebdomadaire Le Point. Le Nouvel Observateur fait presque la même couverture, tandis que le quotidien Libération titre en Une : "la Shoah de Spielberg".

"Le film traite de la survie là ou il devrait pourtant parler de la mort !" écrit Claude Lanzmann. "Mais le peuple juif, la culture juive ont survécu à Hitler !" lui rétorque Spielberg...

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Sur le plan cinématographique, plusieurs oeuvres majeures ont contribué de façon décisive à façonner la Mémoire de l'extermination, non seulement en France mais encore à l'étranger. C'est le cas de l'extraordinaire et bouleversant Nuit et brouillard d'Alain Resnais en 1955, et bien sûr le film fleuve Shoah de Claude Lanzmann en 1985. Une oeuvre tellement importante qu'elle fonctionne d'ailleurs comme une référence absolue sur le sujet. En 1994, La Liste de Schindler provoque ou réactive un débat sur la représentation de l'Holocauste à l'écran, mais aussi sur la Mémoire collective, la notion de témoignage, la pédagogie à l'égard des jeunes générations.



Ci-dessus, une séquence du film dont est tirée la photo au-dessus, dans laquelle le terrifiant et sadique Amon Goeth (extraordinaire Ralph Fiennes) s'en prend à un ouvrier qui n'a pas travaillé assez vite...

L'analyse dévastatrice du réalisateur de "Shoah"

Dans un papier signé Claude Lanzmann et paru dans le journal Le Monde le 3 mars 1994, l'auteur de Shoah écrit : "Spielberg ne peut pas raconter l'histoire de Schindler sans dire aussi ce qu'a été l'Holocauste. Et comment peut-il dire ce qu'a été l'Holocauste en racontant l'histoire d'un Allemand qui a sauvé 1300 juifs, alors que la majorité écrasante des juifs n'a pas pu être sauvée ?" Pour Lanzmann, toute fiction sur l'Holocauste est transgression ou trivialisation.
Sur ces bases, il place ainsi son film Shoah en position de référence. "Je pensais avec humilité et orgueil qu'il y avait un avant et un après [Shoah], et je pensais qu'après Shoah il y avait un certain nombre de choses qui ne pouvaient plus être faites sur le sujet. Or, Spielberg l'a fait. En voyant La Liste de Schindler, j'ai retrouvé ce que j'avais éprouvé en voyant le feuilleton Holocauste. Transgresser ou trivialiser, ici, c'est pareil : le feuilleton ou le film hollywoodien transgressent parce qu'ils "trivialisent", abolissant ainsi le caractère unique de l'Holocauste".



Ci-dessus, la liquidation du ghetto de Cracovie par Amon Goeth. A la base, cette séquence n'était prévue que sur une page de script. Mais en rassemblant divers témoignages, Spielberg développa considérablement la séquence, pour atteindre les 20 min.

La liste de Schindler est alors présenté comme le symétrique inversé de Shoah. Cette oeuvre a pour ambition de raconter un destin collectif; le film de Spielberg une histoire atypique et singulière. Uniquement constitué de témoignages (bourreaux et victimes), Shoah n'offre pas l'occasion de pleurer, alors que La Liste de Schindler est un mélodrame cathartique. L'un est un film sur la mort, l'autre sur la survie, etc... En plus de ce tir de barrage, Lanzmann estime que l'oeuvre de Spielberg comporte des "séquences ambigües" et même "dangereuses" parce qu'introduites "sans nuances". Il évoque ainsi le rôle de la police juive dans le ghetto de Cracovie, les négociations entre Schindler et le Judenrat (Conseil Juif nommé par les Allemands), ou encore la séquence finale en Israël, qui accréditerait l'idée qu'Israël serait la rédemption de l'Holocauste : "ces 6 millions de juifs ne sont pas morts pour qu'Israël existe" conclue-t-il lapidairement.

Les critiques en ordre de bataille

Parmi les critiques -violentes- qui emboîtent le pas de Lanzmann sur les "séquences ambigües et dangereuses" figure notamment celle de Gérard Lefort, dans Libération. Il pointe du doigt la fameuse scène de l’entrée des femmes, nues, dans la chambre à gaz. "Caméra à l’épaule, on les suit, au corps à corps, on y entre avec elles. Et c’est une épouvante car, spectateur malgré tout, on a sur ces femmes une longueur historique d’avance, un avantage effroyable : on sait très bien ce qu’elles ignorent, on sait que part les pommeaux de ces douches, c’était le gaz Zyklon B qui coulait. Et puis non : c’est bel et bien de l’eau qui jaillit et asperge les corps nus des femmes…Comment ne pas lui en vouloir d’avoir ainsi joué avec l’injouable, d’avoir osé le suspense sur un sujet pareil ?"

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Ci-dessus la scène de la douche, tant décriée...

Les réactions de soutiens à Spielberg ne tardent pas; comme cet article écrit par Alain Minc et Anne Sinclair, paru dans Le Nouvel Observateur le 10 mars, où les deux intéressés reprochent à Lanzmann son refus du "principe d'efficacité". Dans la revue Positif, Marcel Ophuls, le réalisateur de l'immense Chagrin et la Pitié, est nettement moins timoré dans ses propos : "cette façon pudibonde, élitiste et tristement rive-gaucharde de vouloir interdire l'Holocauste au cinéma de fiction pour l'éternité me semble suspecte, entachée de provincialisme littéraire". Même Jean-Luc Godard y va de sa petite musique : "savoir ne suffit pas. Il vaut mieux voir. Pourquoi les hommes préfèrent-ils toujours dire "jamais plus" plutôt que de montrer ? Le cinéma, c’est croire à l’incroyable".

La nécessité de trancher le débat

La polémique qui enfle ne peut en rester là; il faut un juge de paix pour trancher, du moins tenter de dépassionner le débat. Ce sera Raul Hilberg. Historien et politologue juif autrichien et naturalisé américain (décédé en 2007), Hilberg est une sommité dans son domaine, mondialement reconnu : spécialiste de la Shoah et ayant notamment travaillé avec Lanzmann sur son film du même nom, il est le premier à avoir reconstitué dans une colossale synthèse le processus d'ensemble du génocide perpétré à l'encontre des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, dans tous ses aspects politiques, économiques, techniques, administratifs et humains.



Ci-dessus, la (longue) bande-annonce de Shoah de Claude Lanzmann. Un travail de onze ans, pour accoucher d'une oeuvre monumentale de 9h30, en deux parties. Par sa portée historique et sa rigueur intellectuelle, c'est l'une des oeuvres cinématographiques les plus importantes du XXe siècle.

Hilberg ne tranche finalement...ni au profit de l'un ou de l'autre. S'il pense que le travail de l'historien est plus efficace pour combattre le révisionnisme et le négationnisme, il reconnait que les fictions romanesques ou filmiques "constituent de loin les outils les plus puissants". Et d'ajouter : "Spielberg est peut-être l'antithèse de Lanzmann, mais il a recherché des vérités fondamentales et il a essayé de les décrire". Hilberg ne récuse donc pas l'aspect émotionnel de La Liste de Schindler, et sur un plan factuel, il ne relève pas d'erreur flagrante.

Epilogue...

Couronné par sept Oscars dont ceux de Meilleur film et Meilleur réalisateur, La Liste de Schindler rapportera plus de 320 millions de dollars au Box Office mondial. C'est à l'étranger que le film rapportera le plus, avec plus de 225 millions de $ de recettes. Et en France ? Le film est en 16e position en terme d’entrées pour Spielberg, entre Rencontres du 3ème type et juste avant La Couleur pourpre, soit près de 2,7 millions d'entrées. Vu la nature exigeante du sujet, c’est un résultat bien plus qu'honorable.

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Amon Goeth en pleine opération de nettoyage du Ghetto de Cracovie. Comme dans le film, le vrai Amon Goeth aimait régulièrement lâcher ses deux chiens, Ralf & Alf, sur les détenus, avant de les abattre..."Voir Goeth, c'était voir la mort" dira un rescapé du camp de Plaszow que le "boucher d'Hitler" administrait.

Surtout, Spielberg a aussi montré avec ce film qu'il était tout à fait capable de faire preuve d'une vraie maturité avec un sujet "adulte" (c'était quand même déjà le cas avec La Couleur pourpre) tout en rapportant de l'argent. Il le démontrera à nouveau brillamment avec Il faut sauver le soldat Ryan quelques années plus tard. Mais, sans doute, la plus grande fierté du cinéaste est d'avoir permis, avec ce film, de créer la Fondation de l'Histoire Visuelle des Survivants de la Shoah, une organisation à but non lucratif qui a pour fonction de rassembler des archives de témoignages filmés des survivants de l'Holocauste. Elle est à ce jour une des plus importantes au monde. La caravane de la polémique est désormais passée depuis longtemps...Mais La Liste de Schindler, elle, est encore là, intact, 20 ans après. Et pour longtemps encore. C'est la marque intemporelle des chefs-d'oeuvres.

http://www.allocine.fr/article/ficheart ... 31348.html

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Re: La Liste de Schindler

Messagepar Somewhere » mar. mars 11, 2014 2:16 pm

C'est les 20 ans du film aujourd'hui.
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Re: La Liste de Schindler

Messagepar phoenlx » mar. mars 11, 2014 2:32 pm

Grand film que j'avais vu au cinéma à l'époque ( Perso , c'est mon meilleur Spielberg, pourtant j'en ai vu un paquet de lui, beaucoup m'ont marqué parmi ses films, notamment toutes ses oeuvres grand spectacle orientées SF, action, les Indiana Jones, ET, Les dents de la mer et autres Jurassic Park , que j'avais terriblement aimé quand j'étais plus jeune ( moins maintenant )
Avec La liste de Schindler il m'avait vraiment surpris, car je ne l'attendais pas du tout sur ce terrain là ( Son Munich plus tardif sortira aussi de ses films habituels je trouve, mais je l'aime moins ) Celui-ci est vraiment brillant, par la réalisation, la mise en scène, la présence de Liam Neeson ( acteur que j'avais découvert perso dans ce film ) et Ben Kingsley ; J'ignorais qu'il y avait des polémiques sur les scènes que tu cites ..

Par contre je ne sais pas si c'est mon meilleur film sur la Shoah, plusieurs sont très marquants, et je crois que je lui préfère par exemple Le pianiste de Polanski ( qui se concentre plutôt sur le guetto de Varsovie, alors que là c'est les camps ) mais les deux se complètent ( et avec d'autres aussi ) Très très grand film
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Re: La Liste de Schindler

Messagepar Gwaëdin » mar. mars 11, 2014 2:44 pm

:entente: :entente: :entente: Un très grand film et des acteurs au top avec une mention particulière pour Ralph Fiennes.
Moi qui télécharge beaucoup, celui-là je l'ai en DVD collector :super:

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Re: La Liste de Schindler

Messagepar Somewhere » mar. mars 11, 2014 2:56 pm

Oui, j'ai aussi la version Collector de ce film :

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(enfin là c'est la version Blu-ray collector, j'ai le DVD mais le contenu est le même)

Contenu du DVD

Contenu du disc 1 :
Le Film : La Liste de Schindler
Contenu du disc 2 :
- Les 2 documentaires exclusifs :
1- L'histoire de la Fondation Shoah
2- Voices from the list
Le CD de la bande-originale du film
Le livre de 80 pages des photos du tournage
Le senitype
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Re: La Liste de Schindler (de Steven Spielberg)

Messagepar Pulsion » lun. déc. 07, 2020 6:26 pm

J'ai le souvenir d'un film très réussi, brillant et touchant. Excellente interprétation notamment de Liam Neeson.
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Re: La Liste de Schindler (de Steven Spielberg)

Messagepar phoenlx » lun. déc. 07, 2020 7:34 pm

oui très bon film.
ce film là et le pianiste, en revanche, ce sont des films que je n'aime pas trop revoir. comme beaucoup sur la Shoah, je me contente souvent d'une fois ou deux maximum
je crois que j'avais découvert Liam Neeson dans ce film à l'époque, grande performance comme souvent, tout comme Ben Kingsley d'ailleurs
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