Voilà un extrait illustré des "Enfants de Hurin", de J.R..R Tolkien, retranscrit par Christopher Tolkien, et traduit par Delphine Martin mais il ne fait que survoler le sujet
« Les Elfes chantent encore bien des complaintes et font encore bien des récits à propos des Nirnaeth Arnoediad, la Bataille des Larmes Innombrables, où tomba Fingon et où fut fauchée la fleur des Eldar. Une vie d’homme ne suffirait pas pour en raconter toutes les péripéties. On rapportera donc ici seulement des faits qui ont pesé sur la destinée de la Maison de Hador et des Enfants de Hùrin l’Inflexible.
Ayant fini par rassembler toutes les forces qu’il pouvait, Maedhros choisit un jour, le matin du solstice d’été. Ce jour là, les trompettes des Eldar saluèrent le lever du Soleil, et à l’Est, on brandit les étendards des fils de Fëanor ; et à l’Ouest, celui de Fingon, Roi des Noldor.
Alors Fingon observa les terres alentours depuis les murailles d’Eithel Sirion, et son armée était déployée dans les vallées et les forêts recouvrant le versant Est des Ered Wethrin, bien cachée aux yeux de l’Ennemi ; mais Fingon savait à quel point elle était puissante. Car tout les Noldor du Hithlum étaient rassemblés, et de nombreux Elfes du Falas et de Narothrond les avaient rejoints ; et il avait une grande troupe d’Hommes. A sa droite se trouvaient l’armée du Dor-Lòmin et tout le courage de Hùrin et de son frère Huor, à qui s’étaient joint Haldir de Brethil, leur parent, avec de nombreux hommes des bois.
Puis Fingon regarda vers l’Est, et ses yeux d’Elfe perçurent au loin un nuage de poussière et l’éclat de l’acier, semblables à des étoiles dans la brume, et il sut que Maedhros s’avançait ; et il se réjouit. Il regarda ensuite vers le Thanrogodrim, surmonté d’un nuage sombre et d’une fumée noire ; et il sut que la colère de Morgoth était ravivée et que leur défi serait accepté, et l’ombre du doute assombrit son cœur.
Mais à ce moment là, un cri se fit entendre au sud, porté par le vent de vallée en vallée, et les voix des Elfes et des Hommes s’élevèrent, exprimant joie et étonnement. Turgon, sans avoir été appelé et de manière inattendue, avait en effet mit fin au siège de Gondolin, et arrivait avec une armée forte de dix mille hommes, formant une forêt aux mailles brillantes, aux longues épées et aux longues lances. Alors, quand Fingon entendit au loin la forte trompette de Turgon, l’ombre passa et son cœur fut transporté, et il cria d’une voix forte : « Utùlie’n aurë ! Aiya Eldalië ar Atanatarni, utùlie’n aurë ! Voici venu le jour ! Regardez peuple des Eldar et Pères des Hommes, voici venu le jour ! » Et tout ceux qui entendirent sa formidable voix retentir à travers les collines, répondirent en criant : « Auta i lòmë ! La nuit arrive à son terme ! »
Bientôt la grande bataille s’engagea. Car Morgoth connaissait l’essentiel de ce qui avait été préparé et prévu par ses ennemis et il avait arrangé ses plans en fonction de l’heure de leur assaut. Déjà, une redoutable armée partie d’Angband se rapprochait du Hithlum, tandis qu’une autre, encore plus importante, se portait à la rencontre de Maedhros pour empêcher que les forces des deux rois ne s’unissent. Et ceux qui allaient affronter Fingon étaient tous vêtus d’habits bruns et avaient dissimulés leurs armes d’acier ; et ils réussirent ainsi à s’avancer loin sur les sables de l’Anfauglith avant d’être découverts.
Alors le cœur des Noldor s’embrasèrent, et leurs capitaines voulurent attaquer l’ennemi sur la plaine ; mais Fingon s’éleva contre cette idée.
« Méfiez vous de la ruse de Morgoth, seigneurs ! Dit-il. Sa force est toujours supérieure à ce qu’elle semble être, et ses desseins différents de ce qu’il laisse paraître. Ne révélez pas vos propres forces, laissez d’abord l’ennemi épuiser les siennes en attaquant les collines. » Car les rois avaient décidés que Maedhros traverserait l’Anfauglith sans se dissimuler, avec toute son armée, composée d’Elfes, d’Hommes et de Nains ; et une fois qu’il aurait attiré vers lui, comme il l’espérait, les plus grosses troupes de Morgoth par cette manœuvre, alors Fingon viendrait de l’Ouest, et la puissance de Morgoth serait ainsi prise entre le marteau et l’enclume, et mise en pièces ; et le signal de cette attaque devait venir d’un grand fanal qu’on allumerai en Dorthonion.
Mais le Capitaine qui commandait les armées de Morgoth à l’Ouest avait reçu l’ordre d’attirer Fingon hors des collines par tous les moyens. Il s’avança donc, jusqu’à ce que la ligne de front s’opproche des eaux du Sirion, s’étendant depuis les murailles de Barad Eithel jusqu’aux marais de Serech ; et des avant-postes de Fingon on voyait les yeux des ennemis. Mais personne ne répondit à leurs défis, et les railleries des Orques s’évanouirent face aux murailles silencieuses et à la menace cachée dans les collines.
Alors le Capitaine de Morgoth envoya des cavaliers pour parlementer, qui s’approchèrent jusqu’au pied des murs extérieurs de Barad Eithel. Ils emmenèrent avec eux Gemlir fils de Guilin fils de Guilin, un seigneur de Nargothrond, qu’ils avaient capturé lors de la Bragollach et avaient aveuglé ; et leurs hérauts le poussèrent en avant en criant : « Des comme lui, nous en avons bien plus chez nous, mais si vous voulez les revoir, vous devez vous dépêcher. Car lorsque nous rentrerons, nous nous occuperons d’eux tous de cette manière. » Et ils tranchèrent bras et jambes à Gemlir, et le laissèrent.
Par un hasard malencontreux, à cet endroit des avants poste se trouvait Gwindor, fils de Guilin, avec une compagnie nombreuse venue de Nargothrond ; il était justement partit en guerre, avec autant d’hommes qu’il avait pur réunir, parce que son frère avait été pris, et pour la grande douleur que cela lui causait. Sa colère brûlait à présent telle une flamme, et il s’élança à cheval, de nombreux cavaliers à sa suite, à la poursuite des hérauts d’Angband, qu’ils tuèrent ; et tout les gens de Nargothrond les suivirent, et ils s’enfoncèrent profondément dans les rangs de l’armée d’Angband. Voyant cela, l’armée des Noldor s’enflamma, et Fingon coiffa son heaume blanc, fit sonner ses trompettes, et toutes son armée fondit des collines dans un assaut brutal.
L’éclat des épées que les Noldor tiraient des fourreaux était semblable à l’embrasement d’un champ de roseaux ; et si féroce et vive fut leur attaque que les plans de Morgoth faillirent être déjoués. Avant que l’armée vers l’Ouest pour servir d’appât puisse être secourue, elle fut balayée et anéantie, et les bannières de Fingon traversèrent l’Anfauglith et furent hissées devant les murailles d’Angband.
Toujours en première ligne allaient Gwindor et les gens de Nargothrond, et même là, rien ne put les arrêter ; et ils enfoncèrent les portes extérieures et tuèrent les gardes dans les cours même d’Angband ; et Morgoth trembla sur son trône souterrain en les entendant frapper contre ses portes. Mais là, Gwindor fut prit au piège et capturé vivant, et ses compagnons massacrés ; car Fingon ne put lui venir en aide. Par de nombreuses portes dérobées, Morgoth lâcha hors du Thanrogodrim le gros de son armée, qu’il n’avait pas encore lancé dans la bataille, et Fingon défait sut battre en retraite avec forces de pertes hors des murailles d’Angband.
Alors, sur la plaine de l’Anfauglith, au quatrième jour de cette bataille, commencèrent les Nirnaeth Arnoediad, dont aucun récit ne peut rapporter toutes les souffrances. De tout ce qui advint lors de cette bataille à l’Est : de la déroute infligée à Glaurung le Dragon par les Nains de Belegost, de la trahison des Orientaux, de la défaite de l’armée de Maedhros et de la fuite des fils de Fëanor, on ne dira rien ici. A l’Ouest, l’armée de Fingon battit en retraite au-delà des sables, où périrent Haldir fils de Halmir et la plupart des Hommes de Brethil. Mais alors que la nuit tombait sur le cinquième jour, et que les Ered Wethrin étaient encore loin, les armée d’Angband encerclèrent celle de Fingon, et les combats durèrent jusqu’à l’aube, resserrant l’étau. Au matin vint l’espoir, lorsqu’on entendit les cors de Turgon, qui s’avançait avec l’armée principale de Gondolin ; car Turgon avait été posté au Sud pour garder les Passes du Sirion, et il avait empêché la plupart de ses soldats de se joindre au téméraire assaut. A présent, il accourait pour aider son frère ; et les Noldor de Gondolin étaient forts, et leurs rangs étincelaient comme une rivière d’acier sous le soleil, car l’épée et le harnais du dernier des guerriers de Turgon avaient plus de valeur que la rançon de n’importe quel roi des Hommes.
Alors la phalange de la garde royale enfonça les lignes des Orques, et Turgon se fraya à l’épée un passage jusqu’aux côtés de son frère. Et l’on raconte que les retrouvailles de Turgon et de Hùrin, qui accompagnait Fingon, furent un moment de joie au milieu de la bataille. Et pendant un moment, les armées d’Angband furent repoussées, et la retraite de Fingon put reprendre. Mais une fois Maedhros en déroute à l’Est, Morgoth eut de nouveau d’important renforts à disposition, et avant de Fingon et Turgon ne puissent se mettre à l’abri des collines, ils furent assaillis par une marée d’ennemis, trois fois plus nombreux que toutes les forces qui leur restaient. Gothmog, le premier Capitaine d’Angband, était présent ; et il coupa en deux l’armée des Elfes, encerclant le Roi Fingon et repoussant Turgon et Hùrin vers les marais de Serech. Puis il fit face à Fingon. Et ce fut un funeste affrontement. A la fin, Fingon se retrouva seul, au milieu des cadavres de sa garde, et il lutta contre Gothmog jusqu’à ce qu’un Balrog se glisse dans son dos et l’emprisonnant avec un fil d’acier. Alors Gothmog abattit sa hache noire, et une flamme blanche jaillit du heaume de Fingon au moment où il se fendit. Ainsi tombât le Roi des Noldor ; et ils le frappèrent dans le poussière avec leurs masses, et sa bannière , bleu et argent, ils la piétinèrent dans la boue formée par son sang.
Cette bataille fut perdue ; mais Hùrin et Huor et ceux qui restaient de la maison de Hador tenaient bon avec Turgon de Gondolin ; et les armées de Morgoth ne parvenaient toujours pas à gagner les Passes du Sirion. Alors Hùrin s’adressa à Turgon : « Pars maintenant, seigneur, tant qu’il est encore temps ! Car tu est le dernier de la maison de Fingolfin, et en toi réside le dernier espoir des Eldar. Tant que Gondolin résistera, Morgoth connaîtra la peur en son cœur »
« A présent, Gondolin ne pourra demeurer longtemps cachée, et une fois découverte, elle finira forcément par tomber », répondit Turgon.
« Pourtant, si elle résiste encore un peu, dit Huor, alors de ta maison viendra l’espoir pour les Elfes et les Hommes. Cela je te le dit, seigneur, avec la mort dans les yeux : même si nous nous séparons ici pour toujours, et que je ne pose plus jamais les yeux sur tes blanches murailles, de nos deux lignées une nouvelle étoile se lèvera. Adieu ! »
Maeglin, le fils de la sœur de Turgon, qui se tenait là, entendit ces paroles et ne les oublia pas.
Alors Turgon suivit le conseil de Hùrin et de Huor, et il donna des ordres pour que son armée commence à battre en retraite en traversant les Passes du Sirion ; et Echtelion et Glorfindel, ses Capitaines, gardaient ses flancs à droite et à gauche, afin qu’aucun ennemi ne puisse les dépasser, car la seule route dans cette région était étroite et longeait la rive Ouest du flot grossissant du Sirion. Mais les Hommes du Dor-Lòmin tenaient l’arrière-garde, comme Hùrin et Huor l’avaient demandé ; car en leur cœur ils ne souhaitaient pas fuit les terres du Nord ; et s’il ne leur était pas possible de trouver un chemin jusqu’à leurs foyers, ils voulaient tenir ici jusqu’à la fin. Ainsi Turgon se fraya par l’épée une voie vers le Sud, jusqu’à dépasser l’arrière garde de Hùrin et Huor, et il disparu dans les montagnes et fut dissimulé aux yeux de Morgoth. Mais les frères rassemblèrent ceux qui restaient parmi les hommes puissants de la Maison de Hador, et ils se replièrent pied à pied jusqu’ franchir les marais de Serech, pour se trouver face aux flots du Rivil. Là ils firent halte et ne reculèrent plus. Alors toutes les armées d’Angband s’abattirent sur eux, comblant le Rivil avec leurs morts, encerclant les survivants du Hitlum comme la marée montante le fait d’un rocher. Là, comme le Soleil passait à l’Ouest et que les ombres des Ered Wethrin se faisaient plus denses, Huor tomba, l’œil percé d’une flèche empoisonnée, et autour de lui tous les courageux Homme de Hador furent tués et formèrent un tas ; et les Orques les décapitèrent et les entassèrent, comme une montagne d’or dans le soleil couchant.
Seul demeurait Hùrin, le dernier de tous. Alors il jeta son bouclier, et saisit la hache d’une capitaine des Orques pour la brandir deux mains ; et les chants disent que la hache fuma du sang noir des Trolls qui composaient la garde de Gothmog, jusqu’à l’anéantir, et à chaque fois qu’il tuait, Hùrin hurlait : « Aure entuluva ! Le jour reviendra ! »
Soixante-dix fois, il lança ce cris, mais ils finirent par le prendre vivant, sur l’ordre de Morgoth, qui pensait ainsi lui causer plus de mal qu’en le tuant. Aussi les Orques se saisirent-ils de Hùrin à mains nues, et les mains restaient accrochées à lui, alors qu’il les avaient trachées de leurs bras ; et ils étaient toujours plus nombreux, jusqu’à ensevelir Hùrin sous leur nombre. Alors Gothmog l’enchaîna et le traîna sous les railleries jusqu’à Angband.
Ainsi prirent fin les Nirnaeth Arnoediad, tandis que le Soleil se couchait au-delà de la mer. La nuit tomba sur le Hithlum, et une formidable tempête se leva, venue de l’Ouest »