La série les introduit tout de suite comme un peuple contrasté, opposant plusieurs enfants elfes entre eux, avec un symbole fort pour ce peuple : celui du navire elfique en papier.
C'est la première des séquences "faussement naïve" de la série, puisque le héros de cette séquence est un simple jouet en papier.
Alors qu'on est nous plus habitué chez nos enfants par les banals avions en papier, Amazon choisit de tout de suite les contraster à nous en leur faisant créer un bateau en papier. Mais ce papier n'est pas qu'un simple bateau en papier. Il déploie ses ailes comme le ferait un oiseau, ou un avion, en l’occurrence, celles d'un cygne. Il acquiert très vite la stature d'un navire elfique Teleri, avant de se faire dégommer par des pierres
C'est bien vu pour de multiples raisons :
- Ca souligne, entre les lignes, que Galadriel et Finrod, la petite fille créant le bateau en papier et son grand frère, descendent en partie des Elfes Teleri. C'est ben sûr un point que seuls les lecteurs du Silmarillion comprendront (s'ils ouvrent leurs yeux en grand pour donner sa chance à la série bien sûr, sinon ils vont juste trouver ça nul)
- toujours entre les lignes, ça rappelle la destruction des navires d'Alaqualonde par Feänor et son armée (encore une fois, uniquement pour les connaisseurs)
- Ca ponctue qu'on est pas face à des enfants humains, mais à des enfants différents, ayant des jeux différents.
- Ca montre aussi que les enfants de ce peuple, à l'instar de leurs ainés, ne sont pas des êtres pacifiques. Ils peuvent ressentir jalousie, esprit d'écrasement en groupe (ou effet foule ou effet et envie de lynchage), et désir de violence et de vengeance.
- Ca permet de souligner au moins quatre fois un thème qui sera omniprésent dans l'arc de Galadriel - sans doute plus par la suite - c'est à dire la difficulté de savoir comment bien agir et surtout la nécessité parfois de s'abîmer dans le Noir pour trouver la Lumière.
+ Une fois car l'acte de faire couler le navire fait basculer la petite fille dans la violence. Dit autrement, l'obscurité mène à la violence.
+ Une autre fois car si on le fait écho à ce que dit juste après Finrod à sa petite sœur, qu'on découvrira bien plus tard pour mieux nous faire comprendre la troisième résonance : "C'est en coulant (il dit que le navire est tenté par couler vers l'obscurité) qu'on peut parfois remonter vers la Lumière"
+ Une troisième fois car en plongeant du navire elfique juste avant de se laisser aspirer par la lumière de Valinor (une métaphore de la mort si on a envie de voir cela d'un certain point de vue Tolkienien mais j'y reviendrais car c'est compliqué), et en se retrouvant en fin d'épisode toute seule en détresse au milieu du grand océan et de ses dangers - d'abord le risque de s'épuiser et de couler - elle rejoue exactement la réponse qu'elle avait fait à son frère, c'est à dire qu'elle choisit de ne pas faire confiance à la lumière évidente, celle de Valinor, pour partir en quête de celle plus diffuse quelle trouvera si elle passe par l'obscurité.
Tout cela est d'ailleurs dit clairement ici en VF :
"Finrod - Tu perds encore ton sang froid, Galadriel !
"Finrod - C'était un fier navire, ma chère sœur.
"Galadriel - je l'ai fabriqué comme tu me l'as appris. (thême de l'enseignement, très important dans la tradition elfique)
"Finrod - Sais-tu pourquoi un navire flotte tandis ce qu'une pierre coule ? C'est parce que la pierre n'est tournée que vers le fond. L'obscurité de l'eau est infinie et irrésistible (clin d’œil à la scène du renoncement de Galadriel à qui Frodon propose l'Anneau dans la Communauté de l'Anneau d'ailleurs, elle est tentée et bascule pendant un moment dans l'obscurité - on a longtemps reproché l'effet à Peter Jackson à l'époque - ) . Le navire aussi est entouré par l'obscurité qui lutte avec acharnement pour reprendre le contrôle (métaphore du Mal qui lutte pour contrôler; Morgoth et Sauron évidemment, entre autres, mais aussi l'Anneau Unique encore) et l'entraîner vers le fond. Mais vois-tu le navire a un secret, car, contrairement à la pierre, il ne regarde jamais vers le bas. Son regard fixe la lumière qui le guide, et qui le conduit sur un chemin que les ténèbres ne peuvent connaitre (on a ici une allusion qui résonnera lorsque la navire elfique que prendra bine plus tard Galadriel sera face à la lumière de Valinor)
"Galadriel - Mais il arrive parfois que les rayons de lumière brille à la surface de l'eau avec autant d'intensité que dans le ciel. Il est difficile de savoir si on regarde dans la bonne direction. Comment être sûr de la route à suivre"
L'intérêt de ne pas nous faire entendre tout de suite la réponse de Finrod est un trait de génie, car en effet en nous la faisant entendre via une remémoration de Galadriel bien plus tard, cela démontre ce que j'expliquais plus haut c'est à dire que les scénaristes ont bel et bien voulu lier le navire en papier et l'explication de Finrod au véritable navire qu'on voit en fin d'épisode. Ce qui n'est pas un hasard, en commençant et en finissant l'épisode sur un navire, non seulement cela les lie ensemble mais ça lie leur symbole à toute la série.
La suite est chuchotée - probablement pour que Finrod prévienne en même temps sa sœur qu'il ne fait pas bon dire cela tout haut, et arrivera plus tard donc :
"Finrod - Il est parfois impossible d'aller vers le haut sans avoir déjà côtoyé les Ténèbres (c'est très tolkienien, citons juste Fëanor qui créé les Silmarils d'abord par pêché d’orgueil) [au passage, musique énorme de Bear Mc Crary sur cette scène du navire]
"Galadriel - Mais ça semble trop simple.
"Finrod - Les vérités importantes le sont souvent. Tu dois apprendre à les discerner toute seule. Je ne serais pas toujours là pour te les expliquer.(importance du voyage initiatique, un thème tolkienien s'il en est)
Je sais que ce n'est pas le cas de tous, mais j'ai trouvé cette idée absolument génial.
Elle permet d'appuyer et de consolider donc trois thèmes majeurs :
D'abord, les personnages de la série ne seront pas manichéens, et oscilleront entre le Mal et le Bien. Ils feront parfois les mauvais choix (coucou, Boromir ou Thorin)
Ensuite, elle accentue le côté merveilleux des Elfes. C'est accentué par le symbolisme, par on le verra plus tard dans un autre post le traitement classique ou néo classique, et par leur longévité.
Mais elle accentue aussi le côté ténébreux des Elfes. Après tout, si en les torturant il y a possibilité peut-être de les transformer en orc en usant de sombre magie, c'est bien que cette noirceur est déjà en eux depuis le départ, ce que démontre la scène de chamaillerie des enfants, car quoi de plus pur chez un être unique, en tout cas en symbolisme, que son état enfant ?
+ Une quatrième fois quand Gil-Galad avoue à Elrond qu'il lui fallait écarter Galadriel pour ne pas que son entêtement produise des Ténèbres, via leur violence, via leur hargne, voire leur soif de vengeance. Et peut-être aussi une manière de ne pas garder près de lui une elfe qui a plus de légitimité et d'expérience que lui ... Ca n'engage que moi.
Ca démontre - et oui, avec un simple navire en papier et toute la résonance qu'il va avoir ensuite dans l'intrigue, que les scénaristes n'ont pas choisit la voie la plus facile pour représenter la nation elfique. Ils ont choisi d'user de symboles et de résonance plutôt que de faire le choix de multiplier les discours philosophiques. Certes, ils auraient été plus tolkiennien mais outre le risque de bris de rythme que cela entraine il y aurait eu perte de la projection dans le merveilleux que permet ce type de traitement symbolique.
Donc, voilà c'est dit en quelques mots. Le navire en papier symbolise la nation elfique.
C'est bien vu pour de multiples raisons :
- le papier c'est le substrat du Legendarium de Tolkien, mais aussi celui sur lequel les langues elfiques vont s'exprimer et évoluer.
- L'histoire des Elfes en Arda donc chez Tolkien est intimement lié à l'Eau et à ces navires :
--> amour des Teleri pour la mer
--> massacre fratricide pour voler de snavires
--> traversée de la Mer pour accoster au Beleriand
--> Les tentatives à répétition de retourner en Valinor lors du Premier Age, en vain
--> Les voyages d'Eärendil et d'Elwing
--> A partir du second âge, l'exil en Valinor, dont on trouve un beau récit en fin du Seigneur des Anneaux
- thême de la transformation par l'artisanat, thème omniprésent chez Tolkien à travers les silmarils, le mithril, les anneaux .. ( Le navire cygne en papier commence par être un "vieux bout de papier" et se transforme ensuite)
- thême de la beauté (le navire cygne en papier est magnifique)
- thême de la low magie (le navire cygne en papier se transforme de manière non magique mais mécanique, mais ça donne un effet "magique")
- On est dans Rings of Power, et on a un anneau elfique lié à l'Eau, justement celui que gardera et utilisera Galadriel.
- thême de la fragilité (à maints reprises les Elfes démontrent que bien que forts leurs peuples ne sont pas invulnérables)
Revenons un petit peu à la leçon de Finrod. C'est faussement naïf car on est ici dans ce qu'on peut appeler la théorie de l'Ombre et de la Lumière, qui n'est certainement pas aussi naïve qu'elle ne semble l'être, car elle est évidemment à double tranchant et nécessite d'avoir déjà un peu vécu pour bien la comprendre et tenter de bien la maitriser, mission quasiment impossible en réalité. Cette théorie enseigne que un être ne peut pas atteindre le summum du lumineux sans parfois accepter son côté ténébreux (Finrod le dit "il faut parfois embrasser les ténébres pour aller vers le haut). Ce thême a été maint fois traité dans la pop culture. Citons juste Star Wars évidemment.
Mais ce thème est aussi à bien des aspects un jalon extrême de la théorie du bonheur quelque part entre la théorie de la compensation et la théorie de l'acceptation de la non solution.
J'imagine que de nombreux philosophes l'ont bien étayé, personnellement j'ai fait ce cheminement tout seul donc je le dis avec mes mots.
Ici, les scénaristes le disent avec un simple navire en papier se prenant une pierre le faisant couler, et le contexte tout autour. Pourquoi pas.
c'est symbolique et en même temps magistral et original.
Si le thème du navire elfique est celui de l'Elfe et de la tradition elfique, un autre thème est fondamental à de multiples titres là aussi concernant les Elfes de Tolkien, et c'est bien sûr également le cas dans Rings of Power, c'est celui de leur affiliation extrême avec la Lumière. Et de leur extrême vulnérabilité à l'Obscurité.
On verra prochainement ce thème et comment Rings of Power l'a pour le moment abordé.
(à suivre ...)