La fascination de Tolkien pour le Haut Moyen Age, en particulier pour les tribus germaniques et les royaumes anglo-saxons, est bien connue et documentée. On sait que l’universitaire puisait plus qu’une part de son inspiration dans les Mythes mais aussi dans l’Histoire Occidentale. Par conséquent cela ne me semblerait pas étonnant qu’il se soit inspiré de l’authentique superpuissance du Haut Moyen Age pour créer le Royaume de Gondor, aussi puissant que vulnérable et à l’histoire très agitée. Les points de comparaisons sont multiples, et je vais tenter de les redescendre un par un.
1/ Une partition originelle
Le Royaume de Gondor, celui des Dùnedains du Sud, a été fondé comme chacun le sait à la toute fin du Second Age par les frères Isildur et Anarion. Pendant ce temps, leur père et suzerain Elendil créait un royaume miroir au-delà des Monts Brumeux, le Royaume d’Arnor. Ces deux royaumes, dits Royaumes-en-Exil, sont présentés comme les Etats successeurs du puissant Empire de Nùmenor, l’apogée de la civilisation des Hommes.
De même, la date de naissance réelle de l’Empire Byzantin date de 395 après Jésus-Christ. Cette année là décède Théodose 1er, le grand empereur romain, le dernier à avoir régné en personne sur l’ensemble de l’Empire. Ses terres sont partagées entre ses fils, qui ceignent conjointement la couronne impérial :
• Son aîné Arcadius reçoit l’Est, avec Constantinople pour capitale, et les riches terres de Grèce, de Syrie et d’Egypte
• Son cadet Honorius hérite de l’Ouest, terre originelle de l’Empire (Italie, Gaule, Espagne et Afrique) avec Ravenne pour capitale. Car Rome était dépeuplée et affaiblie depuis longtemps, j’y reviendrai
Plusieurs fois l’Empire, trop vaste pour être contrôlable, avait été partagé entre Est et Ouest. Mais cette fois, la partition sera définitive. Les Romains d’Orient (qui ne seront pas appelés Byzantins avant le XVIème siècle) n’oublieront jamais qu’ils sont les héritiers de l’un des plus grands et des plus puissants empires de l’Histoire, « Phare de civilisation », et en tireront une immense fierté.
A noter par ailleurs que, de même que l’Empire Romain d’Occident s’effondra dès 476, fragilisé de l’intérieur par la corruption et de l’extérieur par les invasions Barbares, le Royaume d’Arnor déclina après la mort d’Isildur, pour être finalement partitionné en trois royaumes rivaux puis écrasé par le Roi-Sorcier d’Angmar.
2/ Une capitale mythique
Dans l’esprit des passionnés de l’œuvre de Tolkien, il est difficile de parler du Gondor sans toucher un mot de sa prodigieuse capitale : Minas Tirith. La Cité de la Tour Blanche, la Capitale aux six murs d’enceintes… les qualificatifs ne manquent pas pour glorifier la ville mythique. Personne n’a oublié le portrait passionné et détaillé que Tolkien en fait dans ses livres, pas plus que les illustrations de Jon Howe ou la représentation qu’en a faite Peter Jackson. Certainement pas votre serviteur en tout cas, qui possède toujours sur son bureau la magnifique statuette de Minas Tirith vendue avec le coffret collector du Retour du Roi ^^
Initialement, Minas Anor (car tel était son nom d’origine) était la ville d’Anarion, puis la résidence d’été des Rois de Gondor. A l’ombre de sa grande rivale, la magnifique Osgiliath, elle bénéficiait cependant d’une remarquable position juste au pied des Montagnes Blanches. Qui contrôlait Minas Tirith pouvait protéger tout le versant sud de la chaîne de montagnes, le cœur du Royaume de Gondor. Et alors qu’Osgiliath déclinait jusqu’à l’état de ruine, victime des guerres et de la peste, Minas Tirith se renforçait. Les derniers Rois de Gondor, puis les Intendants souverains, en firent leur capitale, qu’ils embellirent et renforcèrent. Véritable rempart du royaume, Minas Tirith du subir quantité de sièges, le dernier pendant la Guerre de l’Anneau passant à un cheveu du désastre. Au Quatrième Age, Aragorn Elessar fit de la cité le joyau étincelant de son Royaume Réunifié.
De même, aucune capitale n’a plus été indissociablement associée à l’Etat qui y est associé que Constantinople.
Bénie par une position géographique stratégique, entre la Mer Noire et la Méditerranée, l’Asie et l’Europe, elle vit affluer au cours des siècles de son histoire quantité de richesses et autant de convoitise. Elle fut conçue initialement comme capitale de substitution pour une Rome en plein déclin, que Constantin baptisa avec fierté la Deuxième Rome. Elle était le lieu de résidence permanent des Empereurs, le cœur de la vie politique et économique de l’Empire romain d’Orient. Une ville de Commerce, d’Art, de Splendeur… mais aussi d’Intrigue, de Mensonge et de Crime.
Protégée par plusieurs lignes d’impénétrables fortifications (les fameux Remparts de Théodose) et par sa localisation stratégique (la ville était accessible que par une étroite bande par la terre, et son port de la Corne d’Or était protégé par une chaîne), Constantinople subit avec succès au cours de son histoire une quantité impressionnante de siège. Pas moins de vingt-deux armées (Slaves, Avars, Perses, Arabes, Bulgares, Russes, Turcs…) s’écrasèrent sous ses murs. Puis les Croisés lui assénèrent un coup mortel en 1204. Restauré avec grand-peine, dans une Constantinople qui n’était plus que l’ombre d’elle-même, l’Empire Byzantin devait finalement céder en 1453 sous l’assaut des Turcs Ottomans.
3/ Un royaume cerné par les envahisseurs
Superpuissance de la Terre du Milieu, le Gondor suscite l’hostilité d’une bonne partie de ses voisins. Ses pires ennemis seront les Orientaux à l’Est, et les Haradrims au Sud, sans parler des résidus de l’armée de Sauron qui se renforceront au cours du temps, jusqu’à représenter une menace mortelle à partir de la prise de Minas Ithil. Par vague successive, ces voisins attaqueront le Gondor au cours des siècles ne lui laissant aucun répit. Entre périodes de crise aigüe, contre-attaques meurtrières et tribut obtenu auprès des ennemis vaincus, les Dùnedains du Sud tiennent bon, mais leur puissance finit par s’étioler sous les coups de boutoirs. A la veille de la guerre de l’Anneau, le fier royaume d’Isildur et d’Anarion ne représente qu’une mince portion de ce qu’il fut pendant ses heures de gloire.
De même, l’histoire de l’Empire Romain d’Orient est celui d’une lutte interminable contre des ennemis qui l’entouraient de toute parts. Nomades des steppes (Huns, Avars) et Slaves dans les Balkans (Serbes, Croates, et surtout Bulgares), Perses puis Musulmans (Arabes et Turcs) en Syrie et en Anatolie, Lombards puis Normands en Italie, Croisés à partir du XIIème siècle… Cerné par des ennemis, l’Empire connu des phases de reflux continuel puis de succès et de reconquête, qui s’alternèrent sur des siècles avant que le déclin définitif ne s’enclenche à partir de 1204… L’incroyable variation des frontières de l’Empire sur mille ans témoigne de cette histoire agitée.
Un autre point commun : les stratégies pragmatiques et ingénieuses des deux empires pour transformer occasionnellement les nouveaux venus en alliés. Lorsque les nomades Eotheods vinrent au secours du Gondor attaqué par les Gens-des-Chariots venus de l’Est, le Surintendant Cirion leur offrit le territoire dépeuplé du Calenardhon, au Nord des Montagnes Blanches. Le territoire leur fut cédé en don souverain, mais contre un serment d’assistance à l’égard du Gondor qui devait se révéler bien utile quelques siècles plus tard. Comme chacun le sait, les Eotheods devinrent par la suite les Rohirrims, royaume indépendant mais allié fidèle du Royaume du Sud.
De même, au début du IXème siècle, l’empereur byzantin Nicéphore 1er eut une approche ingénieuse vis-à-vis des Slaves, peuple turbulent qui avait colonisé les Balkans et la Grèce continentale au détriment des Romains. Ayant vaincu plusieurs tribus slaves du Péloponnèse, il les transplanta en Asie mineure, dans la zone frontalière entre l’Empire et le Califat Abbasside de Bagdad. Cette zone avait été dépeuplé par la guerre, mais le sol était riche et prometteur. Réunis au sein de circonscriptions militaires appelées themata, les thèmes, ces Slaves se transformèrent en paysans-soldats, liés par un serment d’obéissance à l’Empereur. Ils bénéficiaient d’une certaine autonomie, en échange de la défense des marches de l’Empire.
Bien d’autres points communs peuvent être développés entre le Gondor et Byzance, je pense notamment au rayonnement culturel, aux guerres civiles… je suis curieux de savoir ce que pense de tout cela les passionnés d’Histoire du forum !